Il est des nôtres.
Je veux parler ici d’un sujet de conversation
habituel dans certains milieux, dans lesquels règne l’entre-soi : -il est des nôtres.
En laissant de côté l’amitié qui réjouit le cœur des
amis lorsque l’un d’entre eux accompli un exploit ou surmonte des difficultés,
je ne parlerai que des relations sociales empreintes de mondanité.
Autrement dit, je ferai seulement référence à deux milieux,
le politique et l’ecclésial, dans lequel les gens se félicitent de voir grimper
« l’un des nôtres ».
Or ce n’est pas tant qu’il soit des nôtres qui
devrait remplir notre âme d’allégresse, mais le fait qu’il soit surtout fidèle.
Fidèle, non pas à nous, ni à un clan particulier.
Fidèle à sa foi. Fidèle à son engagement. Fidèle à ses promesses. Fidèle à sa Patrie.
Je m’explique.
« Etre
des nôtres » ne veut rien
dire. Nous sommes tous, -et je mets au défi n’importe qui de me prouver le
contraire-, à un moment de notre vie des nôtres,
puis à d’autres, des autres. Cela car
notre âme blessée par le pèche originel bascule de manière incessante entre la
ligne qui sépare le bien du mal.
Soljenitsyne répondait à un journaliste -qui le
houspillait pour savoir comment mettre un terme au mal que représentait le
communisme dans le monde- que le mal ne pourrait jamais être retirée du monde
car la ligne de partage entre le bien et le mal, ne sépare ni les États, ni les
classes, ni les partis, mais elle traverse le cœur de chaque homme et de toute
l’humanité. Et il ajoutait « personne
n’est disposé à arracher son propre cœur pour faire triompher le bien ».
Ou alors si. Certains. On les appelle Saints, car en
renonçant à eux-mêmes, ils ont chargé
leur Croix.
L’histoire militaire fourmille d’exemples de ceux
qui en étant des nôtres ont provoqué
le triomphe des autres.
Non pas parce qu’ils étaient meilleurs ou pire que
nous. Je ne juge pas les âmes, dont il n’appartient qu’au Créateur de leur attribuer
ses peines et qualités. Mais peut-être que l’enthousiasme de faire partie de
cette chose qu’on appelle « la chose
commune », « la chose des
nôtres », leur a fait perdre la conscience qu’il existait quelque
chose de supérieur à cela qui s’appelle le salut individuel.
Bien entendu, ce salut individuel s’inscrit dans une
communauté. Mais une communauté n’appartient pas aux uns ou aux autres. Elle
vit, elle croit et elle meurt. Il existe un fort parallèle entre la vie des
hommes et de celle de la communauté dans laquelle ils évoluent.
Aussi, il est impossible d’aimer en vérité quelqu’un
parce qu’il est des nôtres. Car à un
moment de sa vie, il sera probablement des autres
et alors l’amère déception qui suivra cette découverte nous fera haïr celui que
nous portions aux nuées.
A l’inverse on peut aimer quelqu’un et pardonner ses
faiblesses, ses écarts et ses manquements, si l’on est conscient que de même
que notre âme, la sienne bascule aussi entre le bien et le mal. Et qu’en
définitive, ce qui compte ce n’est pas qu’il fasse allégeance à uns ou aux
autres, mais qu’il cherche de toutes ses forces, malgré ses chutes et ses
écarts, la Vérité.
Cela sublime toute relation humaine, car en
considérant la misère de mon âme je ne peux que douter de mes forces. Alors
pourquoi exiger des autres qu’ils soient plus solides que moi ? N’est-il
pas une aberration de fonder nos espoirs sur le comportement de quelqu’un,
aussi magnifique soit-il ?
Au contraire, si l’on considère que l’amour, en s’inscrivant
dans un regard d’éternité, dépasse nos faiblesses et angoisses humaines, alors
nous ne serons jamais déçus.
Il arrive dans certains milieux, dans lesquels règne
l’entre-soi et aussi de manière très forte la mondanité, que beaucoup oublient
cela.
Ils placent de toutes leur force leur espérance en
un seul homme. C’est le cas en politique, c’est aussi le cas en religion. Cela
aide les fabriques de gurus. Car aucun homme ne peut supporter le poids de la
perfection qu’il ne possède pas et que d’autres s’enthousiasment à lui faire
porter.
En insistant bêtement sur le fait qu’il est des nôtres,
ils vont de déception en déception car personne ne peut leur assurer ce qu’ils
recherchent. Se créent alors des clans et des divisions et on oublie le bien
supérieur qui nous avait unit au départ, pour ne concentrer notre attention que
sur le fait que l’un des nôtres a déserté, ce qui semble impardonnable.
Or, si on élevait un peu notre regard, on verrait
que la plus grande offense commise dans l’histoire a été celle du premier homme
et de la première femme face à Dieu. En voici une faute d’une gravité telle qu’elle
était impardonnable et, pourtant, Dieu nous a pardonné.
Entre des nôtres peut avoir un quelconque sens dans
un match de rugby ou pendant une partie de cartes. Mais surement pas dans le
déroulé d’une action politique ou religieuse.
Pour que celles-là réussissent il faut accepter le
prix de l’inévitable trahison et conserver, malgré l’amertume, le cap. Cela
implique aussi que l’action ne doit pas s’inscrire dans une finalité de réussite
temporelle, mais qu’elle doit nécessairement avoir une vue d’éternité, car c’est
dans l’éternité que seront récoltés les fruits des semences temporelles.
Être du pape ou contre le pape. On s’en fout. Notre fidélité
est attachée à l’Église et non pas à la personne dépositaire des clefs du Royaume.
Nous sommes catholiques, apostoliques et romains. Ni papistes, ni
sedevacantistes. Romains. Faits de la fibre de l’Empire de Dieu et plaçant
seulement en Dieu fait Homme notre espérance et notre salut.
Être d’un parti ou contre un parti. D'une chapelle ou d'une autre. On s’en fout. On
veut le règne du bien commun et non pas celui des partis des mortels qui ne pourront
jamais se détacher de l’odeur de pourriture qu’apporte la mort prochaine.
Les apôtres étaient douze. Deux ont trahi. Ils faisaient
pourtant parti du clan des apôtres. Du parti des apôtres. Ils étaient on ne peut
plus près de la Vérité. Mais ils ont failli. Nous ne ferons pas mieux qu’eux si
l’on oublie que ce qui ne va pas dans le monde, comme le disait le génial GK Chesterton
« c’est moi ».